mardi 3 janvier 2012

:: La gauche altermondialiste, cette gauche qui se place fondamentalement sur le terrain de la bourgeoisie…

Il est désormais courant, et pas seulement dans les milieux de la gauche réformiste, de dénoncer la finance et ses excès. L’économiste Joseph Stiglitz, ex-ministre de Clinton et prix Nobel d’économie, qui passe pour le maître à penser des altermondialistes, a intitulé son ouvrage analysant les derniers rebondissements de la crise : Le triomphe de la cupidité. Comme si la chose était inconnue du capitalisme d’avant les dérégulations des fatidiques années quatre-vingt !
Critiquer les politiques libérales, les dérégulations ou encore la globalisation ou la financiarisation de l’économie, et en rester à cette critique-là sans expliquer comment tout cela s’enracine dans l’évolution de l’économie capitaliste elle-même, est une façon de défendre l’économie capitaliste. Le fait que le Parti socialiste, le Parti communiste, et jusqu’à une partie de l’extrême gauche, reprennent à leur compte ce type d’explication, montre que tous ces gens se placent fondamentalement sur le terrain de la bourgeoisie.
Les altermondialistes n’ont que des platitudes à offrir en guise de réponse à la question « Pourquoi un tel développement de la financiarisation ? » En rester à la dénonciation des politiques libérales menées par les gouvernements, voire à l’influence des théories monétaristes de certains gourous de l’économie politique bourgeoise, est une de ces platitudes. Elles n’expliquent pas pourquoi, en un moment de l’histoire économique de l’après-guerre – précisément après les premières manifestations de la crise économique au tournant des années soixante-soixante-dix – ces politiques libérales ont commencé à s’imposer.
Que les États et leurs dirigeants aient joué un rôle à chaque étape dans la financiarisation de l’économie, c’est une évidence. Les multitudes de mesures prises pour « déréguler », pour supprimer des obstacles devant les placements et les déplacements de capitaux, d’un pays à l’autre, d’un secteur à l’autre, ont été des mesures étatiques. Mais les gouvernements n’ont fait que donner une traduction juridique à l’évolution du capitalisme lui-même, à sa dynamique interne – fût-ce parfois en anticipant.
Les altermondialistes dénoncent les têtes pensantes du libéralisme économique qui défendent l’idée que les marchés s’autorégulent. À juste raison. La multiplication des crises financières et leur gravité croissante font le deuil de ce genre de stupidités. Les crises de l’économie capitaliste n’ont cependant pas disparu, mêmes aux périodes où le marché était plus ou moins réglementé. Et surtout, c’est le marché réglementé qui a enfanté le marché déréglementé. Et, avant de l’avoir enfanté, il l’a porté en son sein. Il a préparé les financiers à l’exiger, les économistes à le justifier, et les politiques à en assurer les conditions légales. De quoi donc le retour à la réglementation – si tant est qu’il soit possible aujourd’hui – pourrait-il préserver l’économie capitaliste ?
La prépondérance du capital financier sur le capital industriel a une histoire plus que séculaire derrière elle. C’est même une des caractéristiques de l’évolution du capitalisme arrivé à maturité – à la sénilité, pour reprendre l’expression de Lénine –, un des signes de son passage du stade concurrentiel vers le stade impérialiste. Mais dans le cadre de cette évolution globale, la finance et l’activité productive évoluent en symbiose. Leurs rôles respectifs reflètent les pulsations de l’économie capitaliste.
La régulation, moyen de circonstance pour sauver le grand capital
Les mesures de régulation, qui font tant rêver les économistes qui se posent en maîtres à penser de la gauche bourgeoise, ont été réinventées dans le contexte de la crise de 1929 et des années de dépression. Elles ont pris des formes différentes dans la démocratie impérialiste des États-Unis et sous le régime fasciste de l’Allemagne bourgeoise, mais les objectifs étaient les mêmes : sauver le grand capital.
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, la régulation devint la règle dans tous les pays impérialistes. Cette régulation non seulement n’a pas empêché les grands trusts de prospérer, mais au contraire la guerre fut une période d’enrichissement pour les plus gros requins de l’économie capitaliste.
La régulation se prolongea bien longtemps après la guerre, imposée par la nécessité de fournir des béquilles étatiques au capital privé, incapable de faire face, sur la base du profit privé et de la concurrence, à toutes les tâches de la reconstruction et de la relance de la production. Même dans les pays impérialistes, notamment ceux d’Europe, l’État n’a pas seulement réglementé : il a joué un rôle important en matière de production comme de crédit. Ont été élaborées de multiples règles juridiques et administratives, parmi lesquelles la séparation des activités respectives des banques et des assurances, le cloisonnement à l’intérieur même du secteur bancaire entre banques de dépôt et banques d’investissement. S’y ajoutaient, dans les relations entre pays, le contrôle des changes et la mise en place d’un système monétaire international avec la prédominance du dollar.
Preuve qu’il est en effet possible de truffer le capitalisme de règlements. Mais preuve aussi que, si l’on ne touche pas aux fondements de l’économie capitaliste, la propriété privée des moyens de production et la course au profit, les crises ne disparaissent pas, et dès lors que les règles destinées au départ à aider le grand capital se transforment en corsets, le grand capital sait les faire sauter.
Les Reagan, Thatcher, les grands prêtres du capitalisme libéral, n’ont été que des instruments, des exécutants de la volonté du grand capital en un moment donné de son évolution. Parmi les balivernes véhiculées par les milieux altermondialistes, il y a le reproche fait aux traités de Maastricht et de Lisbonne d’interdire à la Banque centrale européenne de prêter aux États.
Du coup, ceux-ci sont contraints d’emprunter sur les marchés financiers, ce qui les rend prisonniers de ces marchés. Le montant élevé de la dette publique serait exclusivement dû aux intérêts versés aux banques privées. S’il est tout à fait exact qu’une partie importante de l’endettement est due aux prélèvements des banques et que les décisions des gouvernements de se financer sur le marché des capitaux moyennant intérêts a été un immense cadeau au système financier, l’explication des altermondialistes est partielle, et pour des raisons intéressées. D’abord parce que mettre au pilori uniquement les traités de Maastricht et de Lisbonne, qui ont donné le fondement juridique en Europe à cette limitation des droits de la Banque centrale, c’est taire volontairement que les dettes publiques des États-Unis et de la Grande-Bretagne sont également considérables, alors que ces deux pays ne font pas partie de la zone euro et que les obligations créées par Maastricht et Lisbonne ne les concernent pas.
Ensuite parce que présenter comme une alternative à la crise financière actuelle le retour au droit de chaque État de la zone euro de faire marcher la planche à billets n’est en rien une solution pour surmonter la crise, ni une perspective plus favorable pour les classes exploitées. Une politique inflationniste, même menée par l’État national, c’est encore une politique destinée à vider les poches des salariés en démolissant le pouvoir d’achat des salaires. Les circonstances peuvent amener la bourgeoisie à adopter cette politique. Les États-Unis l’appliquent déjà. L’Europe aussi, dans une certaine mesure.
Les travailleurs n’ont évidemment pas à se retrouver derrière la politique de la bourgeoisie, qu’elle vise la stabilité monétaire ou qu’elle soit inflationniste. Cela repose la nécessité pour le monde du travail de mettre parmi ses objectifs l’échelle mobile des salaires, susceptible de préserver leur pouvoir d’achat.
Dans le texte du congrès de l’année dernière consacré à « La crise de l’économie capitaliste », nous constations que : « Contrairement aux craintes des milieux financiers, voire des dirigeants politiques des grandes puissances impérialistes, l’utilisation effrénée de la planche à billets ne s’est pas traduite, ou pas encore, par un retour à la forte inflation des années soixante-dix. […] Tout se passe comme si l’économie était cloisonnée et que la masse monétaire supplémentaire résultant de la planche à billets était entièrement absorbée par le système financier lui-même. »
Étant donné cependant le fonctionnement forcené de la planche à billets aux États-Unis, en Grande-Bretagne et, d’une autre manière, en Europe, il est probable que la masse monétaire en circulation puisse alimenter tout à la fois le casino des riches et l’inflation pour les classes populaires.
Les altermondialistes prennent soin de ne jamais mettre en cause les fondements de l’économie capitaliste tout en critiquant certains de ses dégâts. Ce n’est pas pour rien qu’ils peuvent postuler à l’insigne honneur d’être les maîtres à penser du Parti socialiste. Ne sont-ils pas déjà flattés que même le très réactionnaire duo Sarkozy-Merkel envisage d’un œil favorable la taxe Tobin, ce dérisoire prélèvement qui non seulement ne touche en rien aux fondements de l’économie capitaliste, c’est-à-dire aux véritables causes de la crise, mais effleure à peine les intérêts des financiers spéculateurs. La dernière réunion du G20, ce cénacle des dignitaires de l’impérialisme, a même mis l’idée de taxer les opérations financières à l’ordre du jour de ses palabres.
La gauche gouvernementale et ses inspirateurs altermondialistes et assimilés posent en fait leur candidature pour être les exécutants de la volonté du grand capital, si le chaos financier actuel l’amène à faire appel aux béquilles étatiques.

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