lundi 10 septembre 2012

:: "Le bonapartisme soviétique est dû, en dernier lieu, au retard de la révolution mondiale" (Trotsky, 1935)


Le bonapartisme soviétique est dû, en dernier lieu, au retard de la révolution mondiale. La même cause a engendré le fascisme dans les pays capitalistes. Nous arrivons à une conclusion à première vue inattendue, mais en réalité irréprochable, et c’est que l’étouffement de la démocratie soviétique par la bureaucratie toute-puissante et les défaites infligées à la démocratie en d’autres pays sont dus à la lenteur dont le prolétariat mondial fait preuve dans l’accomplissement de la tâche que lui assigne l’histoire. En dépit de la profonde différence de leurs bases sociales, le stalinisme et le fascisme sont des phénomènes symétriques. Par bien des traits ils se ressemblent d’une façon accablante. Un mouvement révolutionnaire victorieux en Europe ébranlerait aussitôt le fascisme et aussi le bonapartisme soviétique. La bureaucratie stalinienne a raison, quant à elle, de tourner le dos à la révolution internationale ; elle obéit, ce faisant, à l’instinct de conservation. […] 

Dans les premiers temps du régime soviétique, le parti servit de contrepoids à la bureaucratie. Elle administrait l’Etat, le parti la contrôlait. Veillant avec zèle à ce que l’inégalité ne passât point les limites du nécessaire, le parti était toujours en lutte ouverte ou voilée avec la bureaucratie. Le rôle historique de la fraction stalinienne fut de faire cesser cette dualité en subordonnant le parti à ses propres bureaux et en faisant fusionner les bureaux du parti et ceux de l’Etat. Ainsi s’est créé le régime totalitaire actuel. La victoire de Staline s’est trouvée assurée du fait du service définitif qu’il rendait à la bureaucratie. (…) Les thermidoriens mettent à proscrire les révolutionnaires toute la haine que leur inspirent des hommes qui leur rappellent le passé et leur font craindre l’avenir. Les bolcheviks les plus fermes et les plus fidèles, la fleur du parti, sont dans les prisons, les coins perdus de la Sibérie et de l’Asie centrale, les nombreux camps de concentration. [...] 

Combien de bolcheviks ont été exclus, arrêtés, déportés, exterminés à partir de 1923, l’année où s’ouvre l’ère du bonapartisme, nous ne le saurons que le jour où s’ouvriront les archives de la police politique de Staline. Combien demeurent dans l’illégalité, nous ne le saurons que le jour où commencera l’effondrement du régime bureaucratique. Quelle importance peuvent avoir vingt ou trente mille opposants dans un parti de deux millions de membres ? Sur ce point, la simple confrontation des chiffres n’est pas parlante. Il suffit d’une dizaine de révolutionnaires dans un régiment pour le faire passer, dans une atmosphère surchauffée, du côté du peuple. Ce n’est pas sans raison que les états-majors ont une peur bleue des petits groupes clandestins et même des militants isolés. Cette peur-là, qui fait trembler la bureaucratie stalinienne, explique la cruauté de ses proscriptions et la bassesse de ses calomnies. »

Léon Trotsky, La révolution trahie (1935)

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