mercredi 8 juillet 2015

:: Espagne, 17 juillet 1936 : les généraux Mola et Franco déclenchent un soulèvement militaire contre le gouvernement de Front Populaire

Le 17 juillet 1936, les généraux Mola à Pampelune et Franco aux Canaries déclenchèrent un soulèvement militaire contre le gouvernement de Front Populaire. Ce soulèvement, parti des casernes du Maroc espagnol, s'étendit rapidement le 18 juillet à toutes les grandes villes d'Espagne.

Le gouvernement commença par nier l'existence du putsch, puis au mépris de toute vérité, il proclama qu'il tenait la situation bien en mains. Enfin, lorsque la gravité de la situation fut indéniable, il démissionna purement et simplement, le Premier ministre Casares Quiroga masquant sa veulerie derrière un bon mot: « Ils se sont soulevés, alors moi je vais me coucher ».

Ce furent les travailleurs eux-mêmes, mal armés mais avec audace et héroïsme, qui organisèrent la résistance contre le coup d'État.

Alors que le gouvernement de Front Populaire avait déjà accepté son sort, alors que le Parti Socialiste et les syndicats les laissaient sans consignes, les travailleurs se lancèrent à l'assaut des casernes avec le peu d'armes qu'ils possédaient, désarmèrent les gardes civils.

À Barcelone, les ouvriers avaient, dès le 17 juillet, récupéré des armes sur les navires de guerre du port. Leur détermination fit basculer la garde civile de leur côté. Les militaires finirent par capituler. À Madrid, les travailleurs en colère imposèrent qu'on leur distribue des armes. Mais la plupart des armes étaient sans culasse, inutilisables. Le 20 juin, avec le peu de moyens dont ils disposaient, ils donnèrent l'assaut à la caserne aux mains des officiers rebelles, où les culasses étaient entreposées. Les casernes furent prises d'assaut les unes après les autres.

Le coup d'État franquiste se transforma ainsi en révolution. En ces jours de juillet 1936, le prolétariat espagnol écrivit une des pages les plus héroïques de la lutte pour l'émancipation humaine.

Dans les deux plus grandes villes d'Espagne, mais aussi dans de nombreuses villes et villages, les exploités en armes occupèrent les terres, les entreprises, les bureaux, contrôlant les entreprises, le téléphone, le courrier, les moyens de transport. Les maisons des riches furent réquisitionnées, les hôtels de luxe se transformèrent en restaurants populaires. La population s'organisa en milices, formant des comités dont les décisions étaient les seules appliquées.

Pendant les semaines qui suivirent, il aurait été possible, en s'appuyant sur cette impulsion révolutionnaire qui venait après des années de combats contre les riches, l'Église et l'armée, d'organiser et de centraliser ces milliers d'initiatives et d'établir, de renforcer le pouvoir des comités pour en faire de véritables organes de pouvoir. Le Parti Socialiste, le Parti Communiste firent l'inverse et mirent toute leur énergie en oeuvre pour que se reconstitue le pouvoir bourgeois, en prétendant que les nécessités de la guerre contre l'armée franquiste, qui occupait toute une partie du territoire espagnol, exigeait cela. Les dirigeants anarchistes -au nom du fait qu'ils étaient opposés à prendre le pouvoir- participèrent eux aussi à cette trahison en fournissant des ministres à un gouvernement qui s'était donné comme tâche de rétablir l'ordre bourgeois. Grâce aux grandes organisations qui avaient la confiance de la classe ouvrière, le vieil appareil d'État reprit donc les choses en main, en détruisant l'élan révolutionnaire au nom d'une prétendue efficacité économique et militaire que la marche des événements ne cessa de contredire.

Aujourd'hui, en Espagne, à l'occasion du 70e anniversaire du début de la guerre civile, la gauche parlementaire a souhaité rappeler les événements avec une déclaration au Congrès des députés intitulant l'année 2006 «Année de la mémoire historique». Tous les groupes politiques (sauf le Parti Populaire, de droite) ont fait le 22 juin une déclaration dans laquelle ils rendaient hommage à toutes les femmes et hommes qui «ont défendu des valeurs démocratiques» et furent victimes de la guerre civile et aussi de la répression franquiste qui a suivi pendant des années. Ils ont rendu hommage à la Deuxième République, qualifiée d'«antécédent de l'actuel régime parlementaire». Il est également prévu une loi qui devrait réparer, d'une façon ou d'une autre, les torts faits aux victimes de la répression franquiste.
Ces hommages et compensations viennent trente ans après la mort de Franco et correspondent à bien des calculs politiques de la part des dirigeants du Parti Socialiste ou du Parti Communiste (qui après avoir accepté le drapeau franquiste et la monarchie ressortent aujourd'hui de la naphtaline le drapeau de la Deuxième République et réclament la Troisième). Mais ils sont aussi le résultat de l'action de dizaines d'associations qui se font les défenseurs de la «mémoire historique», associations composées de familles de victimes, de militants de gauche, qui mettent en la lumière le véritable drame du franquisme et luttent pour une réparation aux victimes, l'annulation des jugements franquistes et la dénonciation du régime assassin de Franco.

Ces associations, sans l'aide d'aucun gouvernement, ont établi le nombre de victimes exécutées par le franquisme, non seulement pendant la guerre civile mais pendant les années qui ont suivi: plus de 150000, dont 30 à 35000 ont été jetés dans des fosses communes.

Mais ce que l'on peut souhaiter, c'est que les militants qui se penchent sur ce passé aillent jusqu'au bout de la «mémoire historique», et comprennent que cette dramatique répression qui fut la conséquence de la défaite du peuple espagnol est aussi liée à la trahison des partis et organisations de gauche.

Il est évident aujourd'hui que le gouvernement de Zapatero et ses alliés s'efforcent d'occulter, derrière les hommages rendus à la «démocratie» et à la «République», l'ampleur de la révolution sociale qui mit en échec, en juillet 1936, le coup d'État franquiste.

La «meilleure réparation» qui puisse se faire aujourd'hui vis-à-vis des victimes du franquisme, c'est de comprendre ce qui s'est passé dans ces années de révolution. De comprendre pourquoi et comment tout un peuple en armes, soulevé, héroïque, a été dépossédé, trahi, avant que des milliers de ses fils ne soient fusillés.

Bien sûr, la société espagnole d'aujourd'hui n'est pas celle de 1936, mais l'exploitation, la dictature de l'argent, n'ont pas disparu, bien au contraire. Alors, la leçon de ces journées de juillet, c'est que les travailleurs peuvent organiser eux-mêmes une société sans classes sociales, sans la dictature de l'argent et des politiciens à son service. Et cette leçon, elle, reste d'actualité.

Jacques MULLER (LO, juillet 2006)

Aucun commentaire: