lundi 20 septembre 2010

:: Les classes moyennes sont-elles forcément du côté de la droite ? [chili #4]

Extrait de Chili : un massacre et un avertissement (brochure parue le 30 septembre 1973).



L’enjeu était-il de gagner les classes moyennes ?

L’Humanité du 9.9.73, reprenant les thèses du Parti Communiste Chilien, écrivait : « L’Unité Populaire doit conquérir la majorité, la classe ouvrière doit gagner des alliés. » « Ce serait une erreur, disent encore les communistes, de croire que la classe ouvrière seule peut résoudre le problème de la révolution chilienne, même si elle a été le moteur de la victoire de l’Unité Populaire et si elle reste le facteur décisif de l’échec des tentatives répétées de coup d’État. »

Effectivement la classe ouvrière, qui est minoritaire au Chili comme pratiquement dans tous les pays, même les plus industrialisés, doit, pour acquérir ou conserver le pouvoir, trouver des alliés dans les autres couches sociales, la paysannerie et aussi la petite bourgeoisie urbaine, ou du moins les neutraliser, afin d’empêcher qu’elles servent de troupes à la réaction.

Est-ce que la politique de l’Unité Populaire a permis de gagner les classes moyennes ?

Au fur et à mesure que le temps passait les couches moyennes urbaines (boutiquiers, petits et moyens entrepreneurs, médecins, membres des professions libérales, etc.) s’éloignaient encore de l’Unité Populaire et du gouvernement Allende et s’y opposaient de plus en plus.

Il est possible et même certain que les grèves des commerçants, des médecins et surtout des camionneurs aient été attisées, utilisées et même dirigées par la droite dans sa lutte contre le gouvernement de gauche. Mais les raisons du mécontentement des petits-bourgeois sont à chercher ailleurs. Ce sont les difficultés économiques, difficultés du ravitaillement, rationnement, inflation galopante, qui en furent la cause, qui ont dressé les petits-bourgeois contre le gouvernement Allende.

Leur irritation fut d’autant plus grande que pour faire face à ces difficultés croissantes, le gouvernement multiplia les contrôles et les réquisitions qui tombèrent essentiellement sur ces couches moyennes, sans pour cela d’ailleurs améliorer la situation économique. C’est en effet aux grands capitalistes qui exportaient leurs capitaux ou aux grands propriétaires terriens qui sabotaient la réforme agraire ou ses effets qu’il aurait fallu s’attaquer.

Mais la politique du gouvernement Allende a abouti à laisser ceux-là en toute impunité tout en leur fournissant des troupes contre lui-même en se révélant incapable de porter remède à la crise et en multipliant les tracasseries contre la petite bourgeoisie.

Quelle autre politique aurait permis de gagner ces couches moyennes ?

La politique inverse de celle d’Allende, une politique qui en s’attaquant résolument aux capitalistes et aux grands propriétaires fonciers aurait permis de réduire l’ampleur de la crise sinon de l’empêcher tout à fait.

Il aurait fallu faire une réforme agraire radicale, qui remette aux paysans non seulement la totalité des terres des grands domaines mais également le bétail et les machines sans lesquelles il n’y a guère aujourd’hui d’agriculture moderne possible. À ce compte-là d’abord la couche des grands propriétaires aurait été radicalement extirpée des campagnes, où elle constituait une base contre-révolutionnaire en organisant et armant de véritables troupes privées pour s’opposer aux paysans. Et, de plus, la réforme agraire aurait pu effectivement aboutir à une augmentation de la production agricole. Ainsi une des sources des difficultés du ravitaillement aurait été supprimée.

De même il aurait fallu mettre sous le contrôle absolu des travailleurs, ouvriers et employés, les livres de comptes des capitalistes et leur compte en banque.

C’était la seule manière d’empêcher la fuite des capitaux, une des sources des difficultés financières du régime Allende.

Certes dès le départ la petite bourgeoisie n’était pas favorable, en majorité, à la gauche et à l’Unité Populaire. Une partie de ces petits-bourgeois, en particulier ceux des couches supérieures, touchant aux capitalistes proprement dits, ne pouvaient sans doute pas être gagnés. Mais certains le pouvaient. À condition que la gauche montre qu’elle était résolue à surmonter la crise en s’attaquant sans faiblesse aux trusts, à la grande bourgeoisie et non en trouvant des palliatifs inefficaces, qui ne gênaient que la petite bourgeoisie alors que celle ci, après le prolétariat, était évidemment la couche sociale la plus touchée par la crise.

Est-ce que ce sont les gauchistes qui ont provoqué l’hostilité des classes moyennes ?

C’est la thèse de Fajon, du PC et de toute la gauche. Les classes moyennes auraient été effrayées par les excès provoqués par les gauchistes (occupations d’usines non prévues par le programme des nationalisations, des terres qui tardaient à être touchées par la réforme agraire, consignes de désobéissance lancées aux soldats, etc.)

En fait ce qui a dressé les classes moyennes en grande partie contre le régime de l’Unité Populaire ce sont les difficultés économiques. Or dans celles-ci les gauchistes n’ont rien à voir. Ils ne sont pas responsables de -l’inflation qui a atteint finalement 340 % entre juillet 72 et juillet 73. C’était le gouvernement et personne d’autre qui pouvait faire marcher la planche à billets.

D’ailleurs les grèves des camionneurs, des commerçants ou des professions libérales ont éclaté à propos des problèmes économiques et nullement à propos des occupations d’usines, de terres ou des problèmes des soldats.

En fait ce n’est pas une action dure et radicale qui fait peur aux classes moyennes. La preuve c’est qu’elles peuvent être gagnées, quand la gauche n’y prend pas garde, à la politique de l’extrême droite qui n’hésite pas elle à employer les méthodes terroristes. N’est-il pas paradoxal d’expliquer que les ouvriers, en employant l’arme de la grève, ont fait peur aux petits-bourgeois qui se sont précipités dans les bras de l’extrême droite... qui les appelait à faire grève eux-mêmes ?

Ce n’est pas le « gauchisme » qui a fait peur aux classes moyennes chiliennes, c’est l’absence de politique radicale, « gauchiste », de l’Unité Populaire contre les grands capitalistes et l’État bourgeois, qui sont les ennemis des petits-bourgeois aussi bien que du prolétariat, qui n’a pas permis de les gagner. La petite bourgeoisie ne peut se rallier à la gauche et aux travailleurs que si ceux-ci lui offrent une perspective. Sinon la pente naturelle, inévitablement, les entraîne effectivement vers l’extrême droite.

Et une gauche qui ne s’attaque pas à l’État bourgeois, qui laisse en place les mêmes fonctionnaires, les mêmes agents du fisc qui les grèvent d’impôts, les mêmes policiers qui s’attaquent à leurs manifestations, n’a aucune chance d’attirer artisans, commerçants, petits-bourgeois divers. Si l’État est le même et a le même poids pour eux avec la gauche qu’avec la droite, alors oui il y a toutes les chances qu’ils glissent du côté de l’extrême droite et des fascistes.

L’affirmation selon laquelle « il ne faut pas effrayer la petite bourgeoisie », que l’on lit souvent sous la plume des dirigeants du Parti Communiste Français et de l’Union de la Gauche ne fait que traduire leur volonté de ne pas « effrayer » la grande bourgeoisie dont ils aspirent à gérer les affaires.

Aucun commentaire: